Quel a été le déclencheur de votre série Singular Beauty ? Avant
d'en venir à la photographie, j'ai passé ma vie dans l'industrie de la
beauté, d'abord comme enfant mannequin et plus tard comme maquilleuse
dans un grand magasin de luxe. À l'approche de ma trentaine, je suis
retournée à l'école pour finir mes études universitaires, et j'ai trouvé
ma voie dans le cours de photographie couleur de Joel Sternfeld. Joel
encourageait ses étudiants à faire un travail qui résonnait avec leur
histoire personnelle, tout y alliant une conscience sociale. Compte tenu
de mon passé, la question sociale qui a le plus affectée ma vie était
l'obsession de l'Amérique pour la perfection physique, et vers la fin de
mes études, j'ai commencé le projet qui allait devenir
Singular Beauty. Faire
Singular Beauty
fut pour moi une révélation : cela m'a autorisé à réconcilier le
personnel et l'intellectuel dans un objet bi-dimensionnel qui était
lisible par d'autres, l'image.
La plupart des environnements que vous
capturez veulent livrer un visage sérieux et clinique, et en même temps
affirmer leur apparence dans un style bien défini. Vous photographiez
des salles d'attente, d'opérations, des salles dites d'avant/après, des
instruments, les "albums de seins" des docteurs. Le marketing a-t-il
infiltré le moindre recoin des cliniques de chirurgie esthétique? La
chirurgie esthétique n'est-elle vraiment qu'une branche de l'industrie
du spectacle ? Absolument. Les gens jugent sur les apparences,
que l'on veuille l'admettre ou non. Et quand un patient doit sélectionner
un chirurgien esthétique, il s'ensuit souvent qu'il évalue ses
compétences sur l'esthétique de son cabinet. Donc ces espaces deviennent
une sorte de prologue au résultat final, à la suite duquel le patient
sera remodelé en un design amélioré de lui-même.
Comment avez-vous sélectionné les cliniques ? Et quel a été l'accueil que l'on vous réservait ? Au cours des dernières années, tous les magazines majeurs de mode et de beauté, même
The New York Times,
ont publié régulièrement des articles sur la chirurgie esthétique.
J'avais dans l'idée de suivre le chemin qu'un patient emprunte, j'ai
donc feuilleté
W,
Vogue etc., trouvé le nom de chirurgiens
et leur ai envoyé des e-mails. La plupart des personnes contactées
m'ont donné accès à leur clinique, et tous les docteurs étaient
accueillants voire même parfois très excités par l'idée que je
photographiais leur clinique. Un chirurgien en Californie, dans son
enthousiasme, m'amena dans la salle de réveil pour voir un patient
encore inconscient et voir une liposuccion en train d'être réalisée,
afin de me donner une idée de ce qu'il faisait au quotidien.
Une autre de vos séries, Ultraviolet Beauties, consiste en des portraits noir et blanc, gros plan sur les visages. Les deux séries sont-elles complémentaires ? Oui,
elles font toutes les deux parties d'un même ensemble auquel je suis
d'ailleurs en train d'ajouter un troisième volet. Les portraits UV sont
nés de la recherche menée pour
Singular Beauty. Beaucoup de spas
médicaux ou de dermatologues cosmétologues vendent des traitements
censés vous montrer votre "futur"- (un cliché UV permet de mettre en
évidence les imperfections de la peau invisibles à l'œil nu), et ainsi
vous proposer toute une gamme de produits pour éviter que ce futur ne se
matérialise. J'ai été intéressée au plus haut point par la technologie
UV, car en autorisant à voir au-delà de la peau de la personne, se
trouve questionnés la notion de beauté intérieure et extérieure, ainsi
que le standard de la beauté hyper-retouchée, que nous avons désormais
accepté comme la réalité.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.