Parlez-nous de ces deux images. Dans quel contexte ont-elles été prises ? Ces photographies ont été réalisées à Caracas, au Venezuela, et font partie de mon livre,
Capitolio, que j'ai publié en 2009.
Capitolio est une sorte de réflexion sur l'expérience particulière que j'ai vécue pendant les nuits sombres de la "révolution".
À quoi se réfère le mot "Capitolio"? Il
évoque l'édifice coiffé d'un dôme qui héberge le gouvernement. La ville
de Caracas semble contenue toute entière dans ce capitole.
L'architecture moderniste décadente de la ville, avec cette jungle se
développant dans les failles, est semblable aux murs du capitole et les
rues violentes sont comme les couloirs du capitole, où un drame humain
se joue, dans ce que le Président Hugo Chávez appelle une "révolution".
Quand avez-vous commencé à travailler au Venezuela ? J'ai
commencé en 2004, et pour diverses raisons, je me suis retrouvé
"retenu" là-bas. Je faisais des images très intuitives qui ne
cherchaient pas réellement à expliquer quoique ce soit de la situation
mais qui étaient très chargées émotionnellement. Et puis j'avais cette
idée de film, que je voulais transposer en livre, où une image vient
compléter la précédente et voit sa dimension augmentée par celle qui
suit… Une succession qui soit similaire à celle des images dans une
pellicule de films. C'était une expérimentation qui voulait rompre avec
la sacro-sainte singularité de l'image.
Quand et comment êtes-vous entré en photographie ?La
photographie fait partie de ma vie, depuis un très jeune âge. Je
n'avais jamais imaginé que photographe était une profession, jusqu'à ce
que je gagne ma vie avec. C'était en 1993, donc je crois que l'on peut
dire que j'ai "commencé" en 1993. Mes racines sont définitivement dans
la tradition documentaire. Les premiers temps je me suis retrouvé dans
des territoires en guerre. On me disait souvent "photographe de guerre"…
un titre que je rejette. Assez vite je me suis rendu à l'évidence que
j'essayais certainement davantage de m'expliquer le monde, pour
moi-même, plutôt que de raconter une histoire au sens journalistique
traditionnel. Mon travail est rapidement devenu plus subjectif, ambigu
et personnel.
Qu'aimez-vous dans le noir et blanc ? Je
me considère comme un photographe couleur. Le choix du noir et blanc
pour ce corpus d'images est venu naturellement, parce qu'il convenait
mieux au concept du livre que je voulais faire, à savoir : me rapprocher
du cinéma par le livre. Je voulais que les images aient l'air d'être
des
stills d'une bobine de film de cinéma. Et puis la couleur
contient trop d'informations et stoppe le flux d'images et ce constant
mouvement auquel je voulais parvenir. Le sujet aussi me l'imposait : le
Venezuela est simplement trop coloré, cela amène trop de distractions
dans l'image.
En quoi la profession de photo reporter a évolué depuis que vous la pratiquez ?La
photographie documentaire a certainement évolué du fait des avancées
technologiques et des bouleversements du marché. C'est la partie
ennuyante. Le changement le plus intriguant est celui qui s'opère dans
les notions de subjectivité et d'objectivité. Nous sommes tous désormais
bien plus avertis qu'une photographie est par essence subjective… et
ainsi qu'elle n'est pas "factuelle". Mais cela veut-il dire que l'image
n'est pas vraie ? Bien au contraire, mais cette vérité est une vérité
subjective, celle de quelqu'un qui était là et qui a ressenti.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.