À propos de l'artiste

Le facétieux et ténébreux
Geoffroy de Boismenu officie depuis vingt ans dans la presse de mode.
Dans les années 90, il s'installe à New York et shoote des artistes dont la cote commence alors à exploser -
Biggie avant son premier album,
Gradiggaz, le groupe de
RZA et
Prince Paul, ou encore
Outkast et
Mary J Blige - et des légendes comme
Public Enemy. Il travaille pour des labels et des magazines, s'intègre vite au circuit hip-hop de la ville et se constitue un beau fonds photographique personnel.
Il revient en France en 2000 et range ses archives dans sa maison de Bretagne. Mais un jour qu'il revient après deux mois passés ailleurs, il retrouve la bâtisse inondée : la quasi totalité de ses archives sont détruites. Il parvient tout de même à sauver quelques boîtes d'images que les dégâts ont dégradées, leur offrant un rendu unique.
A partir des années 2000 il développe également des projets personnels.
Libenter sera le premier d'entre eux : série d'images intimistes et contemplatives autour de la maison de ses parents à la campagne, le premier plan souvent flou, puisqu'il est si difficile de se départir de son regard d'enfant sur cet environnement familier. Toujours un appareil sur lui, qu'il s'agisse d'un Nikon f2, d'un Konica T4 ou d'un iPhone, Geoffroy de Boismenu photographie tous les jours et parfois revient sur sa collection d'images, les ré-assemble à l'image de son dernier livre
Image System, où il réalise de nouvelles compositions à partir d'images prises en 1993 au cours de ses errances américaines avec un Polaroïd Image System. La photographie de Boismenu se développe au gré de ses obsessions du moment, ce qu'il nomme lui-même sa "collectionnite", laquelle jette son dévolu tant sur des fourches tridentées que sur des jeunes filles dénudées. Dans son cabinet de curiosités, on compte aussi une petite mésange, un revolver rouillé et des poussières, le tout agencé en quelques natures mortes presque innocentes.
Rencontre
Quels sont vos premiers souvenirs photographiques ?
C'était
je crois quand j'ai eu douze ans, mon père qui travaillait à Air France,
nous avait amené à Hong Kong, où je suis né d'ailleurs. Mes parents
m'avaient acheté mon premier appareil, un Konica d'occasion et me voilà
pendant 15 jours à prendre des photos. C'est drôle, j'ai retrouvé
récemment certaines de ces photos et on dirait presque des images que je
pourrais faire aujourd'hui. Je photographiais des tireurs de
pousse-pousse, je ne voulais pas qu’ils me voient et qu'ils prennent la
pose, j’allais alors me cacher derrière une palissade, et à travers une
petite fissure, je les photographiais. Cela donne des images toutes
noires, avec au centre, une fente floue et la silhouette. Je me rends
compte que j'avais un sens du cadre assez instinctif, que d'ailleurs
j'ai pu perdre à certains moments par la suite, à vouloir trop le
travailler.
C'étaient davantage des extérieurs que des scènes intimes, familiales ?
Les
deux. Je crois qu'une des toutes premières photos que j'ai prise, et ça
ne m'étonne pas de moi, parce que c'est tellement représentatif de ce
que je suis - ce côté à la fois clownesque et ultra sentimental - c'est
ma mère sur les genoux de mon père. Et puis, il y avait la nature aussi,
nous vivions en banlieue, et je me revois photographiant des bouts de
branches, des morceaux de feuilles, de rares fleurs. Puis est venue
l'adolescence, et je n'ai plus fait grand chose, du moins je ne
photographiais plus de manière psychotique comme avant.
Comment êtes-vous revenu à la photographie ?
Après
le bac, j'ai fait semblant de faire des études, un peu de tout et puis
je suis devenu rédacteur dans une boîte de relations presse, j’ai fait
un peu de direction artistique et finalement vers la fin des années
1980, je me suis dit que j'allais me lancer dans la photo de mode. Je
voulais faire de la mode avec des quidams comme mannequins, et j'y
croyais mordicus. J'ai commencé à démarcher avec une série que j'avais
faite dans le village de mes parents, des portraits des gens du coin sur
fond blanc, un peu à la Avedon. Et par bonheur ça a marché relativement
vite. Dans le fond la mode en elle-même ne m'intéressait pas, je
voulais juste m'approprier ce cadre là et faire ce qui me plaisait et je
n'en ai fait qu'à ma tête.
Vous avez donc mené une carrière de photographe de mode et publicité, quand avez-vous commencé vos projets personnels ?
J'ai
toujours fait des photos entre les commandes mais je n'y réfléchissais
pas en tant que "projets personnels". Quand j'ai fait mon livre Libenter,
un projet sur la maison de mes parents, c'était réellement la première
fois où je me fixais un cadre, je décidais de mes outils : un appareil,
l'Hasselblad, et peu de profondeur de champ. C'était la première fois
que je m'assignais une commande et j'ai aimé ça. Je le voyais presque
comme un exercice de style technique, je me demandais par exemple de
quelle façon transcrire l'odeur de cette fleur ou de la terre à cette
heure de la journée.
C'était un exercice de contemplation aussi.
Je
suis un contemplatif, je vais voir avant tout le monde le scarabée qui
est sous la feuille, j'entends un petit cri et je vais dire tiens ça
c'est une musaraigne qui s'est cassé l'ongle du 3e orteil, je connais
les arbres, le cri des oiseaux. D'où les séries de rochers etc. que j'ai
pu réaliser. J'ai pris du plaisir à les faire mais dans le contexte
actuel, qui est tellement conceptuel, ces choses là ont malheureusement
une connotation un peu gnangnan.
Vous photographiez un peu
chaque jour et vous collectez des objets, plus ou moins compulsivement,
avez-vous l'esprit collectionneur ?
Mes projets ont très souvent
un rapport à la collectionnite, c'est-à-dire à une attitude qui me fait
amasser des choses, un peu frénétiquement. Puis parfois, je les regarde
et essaie de les assembler. Par exemple, Boisemania - ce projet
où j'expose toutes les enveloppes que l'on a pu m'envoyer où mon nom est
écorché - ce n'est pas une collection à proprement parler mais ce sont
des choses que je garde, que je n'arrive pas à jeter, je ne jette rien.
Le projet eBay aussi est une expression de ma collectionnite :
c’était une époque où j'achetais des dizaines et des dizaines d’objets
de ferronnerie, surtout des tridents, et je me suis dit qu'il fallait
que je photographie ce mouvement de folie.
Et la démarche est
similaire ici dans ces images, ces natures mortes ne sont pas forcément
composées d'objets que je collectionne mais plutôt dont je n'arrive pas à
me séparer. J'ai des plumes de geai, une petite mésange, des pierres
etc. quand je regarde tout dans le détail, c'est tellement joli.
Expositions et prix
Constant Elevation, Art Ligue, Paris, 2015
France(s) territoire liquide, Tri Postal, Lille, 2014
Clinic, Hôpital Beaujon, Clichy, 2009
Clinic, Musée d’art moderne de Lyon et Griesmar & Tamer, Paris, 2008
f2, Kiosque, Paris, 2008
The conversation, Office 33, Hambourg, 2006
Les biches, Bound, Paris, 2006
The conversation, Colette, Paris, 2005
Libenter, Studio 58, Paris, 2004
Publications
Image System, RVB Books, 2015
Image System, RVB Books / Janvier, 2011
f2, Hong Kong Phat Publishers, 2008
Clinic, Images en manœuvres, 2007
Chiiilll…dren!, Nuke, 2006
The conversation, Damiani, 2005
Libenter, Janvier / 779, 2004