Quelles sont les qualités d'un paysage qui vous attire ? C’est
un paysage qui a quelque chose à dire par ses formes. Dans un premier
temps, ce qui s’impose, c’est une géométrie de la nature, plus ou moins
affirmée, mais toujours présente. En fait ces formes sont un symptôme
et/ou un déclencheur : un symptôme dans la mesure où elles peuvent
traduire une réalité de l’homme, du monde, voir une surréalité ; un
déclencheur en ce sens que tout paysage que je photographie est en
quelque sorte romantique, en ce qu’il est un miroir aussi de celui qui
regarde et donc une « toile » de réel sur laquelle se projette l’état
d’esprit de celui qui photographie. Un paysage est donc toujours pour
moi un état du monde, un état de l’homme, mais aussi un état d’âme…
Vous
photographiez exclusivement en noir et blanc, vient-il pour vous
rencontrer votre désir d'introspection et de silence que dégagent vos
images ? Je n’articulerais pas directement la question du noir
et blanc à celle du silence, de l’introspection, et – j’ajouterais – de
la mélancolie.
En effet, le noir et blanc reste pour moi – pour le
moment… – une évidence, une « grammaire » naturelle et spontané. Et si
je vois en noir et blanc, c’est, il me semble, parce que je suis
sensible à des stimuli visuels qui appellent le noir et blanc : jeux de
contrastes, de graphisme. Le noir et blanc est pour moi un mode
d’expression qui se concentre sur l’essentiel, il m’apparaît comme une
chambre de résonance où l’on peut paradoxalement faire entendre le
silence, et dès lors se vivre soi-même face au monde (l’introspection
est au bout de ce silence).
Photographiez-vous en toute saison, à toute heure, ou est-il des moments que vous affectionnez particulièrement ? Je peux répondre à cette question en me plaçant sur deux terrains : celui de l’inspiration et celui de la technique.
Pour
ce qui est de l’inspiration, je fonctionne beaucoup par phases (il y a
des périodes où je suis ainsi saisi d’un besoin impératif de
photographier, quasi-existentiel), et par impulsion (il faut parfois un
simple élément visuel déclencheur pour réenclencher la dynamique
créatrice qui peut s’être mise en sommeil pendant une période). Ainsi,
je peux rester sans photographier longtemps, même si le climat aurait pu
se prêter à des prises de vue intéressantes.
Sur le plan de la
technique, il est évident que certaines lumières m’inspirent plus que
d’autres, et que ces lumières se (re)trouvent davantage à certaines
périodes de l’année : en l’occurrence, le printemps, l’automne et
l’hiver. Ce sont des lumières de caractère qui m’interpellent ; et ce
sont généralement des cieux nuageux, contrastés, pouvant offrir les
modelés, qui m’intéressent. J’ai la chance de vivre dans une région
vallonnée où le relief et les mouvements d’air construisent des cieux
originaux. Pour moi, c’est la lumière qui par son incidence vient
modifier la perception qu’on a de ce que l’on voit : elle est un prisme
qui métamorphose le réel.
Quels sont les auteurs qui vous ont marqué ?Sur
le plan photographique, la liste des influences pourrait être longue…
et surtout très éclectique car je ne me sens pas « appartenir » à un
genre photographique précis. A vrai dire, je vois des marqueurs forts
dans des auteurs comme Cartier-Bresson : pour son sens de la composition
et du cadrage. Une certaine photographie humaniste me « parle »
beaucoup. Lucien Hervé est une référence également en raison de son sens
de la lumière qu’il a su mettre à profit pour découper le réel. Pour
donner d’autres noms, je peux renvoyer à Michael Kenna et son sens de
l’épure. Des photographes comme Koudelka ou Paolo Nozolino m’ont frappé
par le sens du tragique qui ressort de leur photo, et la densité de leur
noir renvoie pour moi à une densité existentielle qui trouve des
résonances assez fortes chez moi.
Je suis venu à la photographie par
le biais de l’écriture… où il est question d’image : dans les deux cas,
ce qui m’intéresse est la suggestion, l’implicite, l’association d’idée.
Une image doit dire quelque chose, mais il faut que ce qui est dit ne
soit pas forcément immédiatement donné : la connotation est un processus
poétique essentiel. C’est d’ailleurs ce qui fait que j’aime en peinture
les travaux où le réel n’est pas un « tel quel » mais ce que l’on va
chercher dans le brouillard de le représentation (et le terme de
brouillard me conduit à citer deux auteurs assez différents : d’une part
Turner et l’évanescence de ses toiles ; d’autre part Rothko et le voile
abstrait de ses couleurs, plein d’une vibrance qui rappelle une brume
qu’il faut percer pour découvrir ce qu’il y a voir et à comprendre).
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.