Comment en êtes-vous venu à choisir la photographie parmi les différents moyens d'expression existants ? Mon
premier contact avec la photographie a été très précoce et est survenu
lors d'une triste occasion : l'enterrement de ma grand-mère. Son frère,
mon grand oncle, qui vit à Paris, et chercheur en physique et chimie
avait laissé un appareil photo chez nous, je me suis alors mis à
documenter les funérailles. J'étais très jeune et timide, c'était la
seule façon dont j'arrivais à dire quelque chose.
Ces deux
images sont extraites d'un ensemble de photographies sur la Roumanie,
votre pays natal. Vous aviez six ans à la mort de Ceausescu en 1989.
Est-ce que ce travail est pour vous un moyen de comprendre votre pays et
son passé, de vous en approcher ? Vivre dans un pays
post-communiste comme la Roumanie n'est pas une réalité triste ou
négative, c'est magnifique de témoigner de tant de transformations, et
ce qu'il l'est encore plus c'est de faire partie de la communauté de
personnes qui œuvrent pour ce changement dont notre société a besoin.
Pour permettre au potentiel du pays de se développer, il nous faut du
savoir, de l'engagement, de l'implication.
Quelle a été votre manière d'aborder ce sujet en tant que photographe ? J'ai
commencé ce travail avant le 20e anniversaire de la révolution
roumaine, pour un livre commémorant l'événement. J'ai voulu faire un
portrait du pays - avec tout ce qui le compose : l'hiver, la religion
orthodoxe, les classes divisées et le déclin industriel. Pour la plupart
des Roumains, la promesse d'un changement économique portée par la
révolution est restée un mirage. L'industrie, quand elle existe encore,
utilise la technologie de l'ère communiste. Beaucoup d'usines ont été
abandonnées. La classe moyenne existe à peine, et les pauvres sont en
grand nombre dans les campagnes.
Mes sujets ruraux sont souvent sans
visage ; des silhouettes qui se détachent sur des manteaux neigeux,
dissimulées au travers de fenêtres de trains ou derrière des icônes
orthodoxes.
Mon histoire de la Roumanie se dessine autant par ce
qu'elle donne à voir, que les absences dont elle témoigne : les jeunes
hommes (souvent partis gagner leur vie en Italie, en Espagne ou en
France), l'industrie moderne, l'été, la couleur.
Dans la Roumanie
profonde, il fait froid, c'est l'hiver. Les gens n'ont pas de nourriture
sur la table et la crise est très forte. Je suis allé de très
nombreuses fois en dehors de Bucarest, et les souvenirs que j'en ai sont
très profonds, très noirs, mais très beaux aussi.
Quelles directions prend votre travail ces derniers temps ? Couvrez-vous encore des terres de conflit ?Je
crois que la photographie est une voix, et quand je pars dans des zones
en guerre, j'essaie d'être la voix de ceux qui souffrent, de dire ce
qu'il se passe sur le terrain, de témoigner. Dernièrement j'ai couvert le
printemps arabe mais d'une manière je crois différente à mes travaux
précédents, en essayant d'être plus indépendants vis à vis de mon sujet.
Je projette de retourner en Syrie prochainement, dès que je pourrais.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.