D’où viennent ces objets étranges posés en pleine campagne ?Cette
série d'images est le résultat d'une rencontre fortuite faite dans le
nord de Taïwan : un ensemble de bungalows futuristes laissés à
l’abandon. L'image qui présente un plan large reproduit une des
premières visions que j'ai eue des lieux : des bulbes très lointains,
aux couleurs vives et encore couverts d'une fine pellicule d'eau qui les
faisait scintiller sous cette lumière jaune d'après la pluie... Une
vision irréelle, dans un pays dans lequel je venais moi-même d'atterrir.
Les voisins de cet étrange ensemble architectural s’amusaient de mon
intérêt pour cet endroit, cela faisait plus de vingt ans qu’ils vivaient
à côté de cette grande ruine moderne, un ensemble hôtelier, entre
centre de vacances et parc d’attractions, qui n’a finalement jamais
ouvert ses portes.
Cette série d’images a été faite sur deux
ans, elle est le résultat de plusieurs voyages. Où vous ont mené ces
prises de vue successives ?J’ai d’abord travaillé sur les
extérieurs des immeubles, pour faire des « establishing shots »,
c’est-à-dire des images qui plantent le décor, posent le contexte
général puis je me suis centré sur les formes elles-mêmes et enfin les
intérieurs. À chaque séance dans les lieux, je découvrais de nouvelles
choses. Le climat tropical de Taïwan fait que la vie y est toujours très
palpable, et c’est peut-être d’autant plus probant dans ce lieu à
l’abandon. D’une visite à l’autre, tout changeait : la végétation,
tantôt toute jaune, puis toute verte en l’espace de quelques jours, les
insectes et puis ces objets – des morceaux de statues de singes qui
ornaient les toits et le toboggan de la piscine – qui apparaissaient et
disparaissaient... Comme si le lieu était hanté de présences
fantomatiques. Et ce n’était pas loin de ça : dans certains bungalows,
j’ai découvert des matelas, de vieux habits et des journaux et puis une
pièce entièrement aménagée comme un appartement, à la différence qu’il
n’y a dans ces « appartements » ni arrivée d’eau ni électricité, ni même
de vitres recouvrant les fenêtres. Et puis, 6 mois après, la commode,
le lit, les papiers, tout avait disparu. Une autre fois encore, alors
que j’avais la tête sous le voile noir de l’appareil, j’ai entendu des
pas et des murmures, quand j’ai sorti la tête, il n’y avait que les
buissons qui bougeaient, c’étaient des jeunes en camouflage qui se
servaient du lieu comme champ de bataille et s’échangeaient des balles
de plastique… J’avais beau avoir fait le tour des lieux encore et
encore, je ne savais jamais ce que j’allais y découvrir !
Qu’est-ce qui vous fascine dans ces ruines modernes ?Je
crois que ce qui m’a attiré ici d’emblée c’était cette architecture,
assez proche des constructions utopistes des années 1960 - j’ai moi-même
grandi dans une maison composée d’alvéoles et de bulbes. Ces bungalows
ont été construits dans la même tendance architecturale mais l’entrée
est une grande porte cochère ornée d’un gigantesque dragon et il y avait
apparemment des sculptures d’animaux fantastiques un peu partout. Un
ensemble un peu « fusion » finalement !
Et puis je trouve fascinant
de trouver ces ruines à Taïwan, pays d’où sort – ou du moins sortait
pendant très longtemps – la majeure partie des objets que nous
consommons largement en Occident, pays qui est à la pointe de la haute
technologie. Et ce contraste se ressent non seulement à l’échelle du
pays mais aussi sur le site même. Les bungalows sont implantés entre une
zone de grandes tours de logements contemporains et la plage, où de
vieilles paysannes taïwanaises, habillées de façon extraordinaire,
viennent ramasser des crabes dans les rochers en contrebas de ces ovnis.
Il
y a une poésie de l’abandon qui vous atteint directement dans ce lieu,
ça devient un lieu de sensations, de couleurs, de bruits, de textures,
vous avez tout le champ libre pour les explorer.
Vous
travaillez la plupart du temps, que ce soit en portrait ou en
architecture, à la chambre (grand format), qu’aimez-vous dans la
pratique de ce format ?J'aime bien travailler le portrait et
l'architecture à la chambre pour la grande qualité de l'image, sa
définition, pour le redressement des perspectives, mais avant tout pour
le rythme et le temps de préparation que la chambre impose, la distance
que cela crée face au sujet et qui se ressent dans le soin et la
précision apportés à la composition. Une sorte de solennité dans le
processus et le résultat, que j’aime.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.