Quel est ce curieux arbre à pommes ? Une représentation fantasmée d'un objet de dévotion étrange dont j'ai lu l'histoire quelque part.
Cet
objet est souvent appelé "l'arbre des âmes". Il s'agit d'une coutume
funéraire. À une date précise en Normandie ou en Bretagne, on choisit
une grande branche sur laquelle on pique artificiellement des pommes.
L'arbre est ensuite placé dans une chapelle pendant une année, les
pommes pourrissent alors lentement. Cet arbre peut être aussi placé sur
les tombes le jour des morts.
Et cet homme des champs, cloches à la ceinture ? Il
s'agit d'un personnage échappé d'un "cortège" d'autres de ses
semblables qui parcourent les montagnes d'un village suisse de
l'Appenzell deux fois par an pendant les traditions rituelles d'hiver
qui ont lieu dans toute l'Europe pendant le solstice d'hiver. Son
costume fait de paille hirsute, de lourdes cloches bien sonores et d'un
masque en papier mâché est censé effrayer. D'ailleurs le groupe auquel
appartient cet individu s'appelle le groupe des "moches" en
contradiction au groupe des "beaux" qui arpentent aussi les montagnes de
façon moins brutale et plus raffinée. La tradition veut que ces groupes
aillent de ferme en ferme chanter (car ce sont de grands chanteurs),
demander à boire et faire fuir les mauvais esprits potentiellement
cachés dans chaque ferme. L'origine de ces fêtes d'hiver remonte à la
peur qu'éprouvaient les sociétés paysannes à l'arrivée de l'hiver,
associée à ces mauvais esprits. Les hommes se déguisaient alors pour
tenter de rivaliser et de communiquer avec ses esprits malins et les
amadouer pour s'assurer un retour du printemps et de bonnes récoltes.
Celui-ci me regarde certainement un peu alcoolisé déjà mais fier et
poseur, l'espace de quelques secondes.
Vos images abordent
souvent des traditions (de la communauté juive à Londres au théâtre de
marionnettes japonais), des manifestations de la culture populaire,
quelle ligne tracez-vous entre ces différents sujets ? Les
traditions en elles-mêmes m'intéressent pour leur théâtralité et la
richesse de leurs détails insolites à mes yeux, moi qui n'ai jamais fait
partie d'aucun groupe rituel, (une mère communiste ne vous pousse pas à
aller à l'église ou chez les scouts ou à faire partie d'une quelconque
confrérie.) Mais au-delà donc de l'aspect traditionnel, rituel des
évènements que je photographie ce qui me poussent vers toutes ces
"communautés" est plutôt une fascination pour le "groupe". La façon dont
les gens s'unissent et créent des liens forts entres eux, liens qui
régissent certains principes de leur vie. Parfois ponctuellement lors
des traditions hivernales, parfois quotidiennement comme pour la
communauté juive orthodoxe de Londres par exemple. Le théâtre également
fonctionne en "troupe", je pense au travail que je mène depuis plusieurs
années autour de la chorégraphe et marionnettiste Gisèle Vienne, encore
une fois cette troupe de gens (constituée de danseurs, acteurs,
musiciens et marionnettes) liés les uns aux autres de façon
inconditionnelle m'attire. Sans parler des motifs que créent ses
groupes, visuellement, un ordre et un chaos tout le temps renouvelé.
Que
ce soit à travers la marionnette, le masque, le costume, ou même le
tatouage, le corps se trouve souvent chez vous transformé, qu'est-ce qui
vous attire dans ces formes de travestissement, de mutation ? Le
corps humain est en effet un sujet récurrent dans mon travail, sous
toutes ses formes, déguisé, nu, peint, dupliqué, imité, inanimé, c'est
une source infinie d'inspiration. Ce qui m'attire c'est tout simplement
l'universalité de cette forme qu'est le corps et travailler à partir de
cette "matière" me paraît une évidence. J'ai une sœur jumelle et, plus
je vieillis, plus je réalise que mon travail sur le corps est peut-être
lié à la gémellité. Deux êtres assez semblables qui grandissent
ensemble, et s'observent, deux identités qui luttent pour être
différentes, qui mutent au fil du temps, traversent des épisodes de vie
différents mais qui malgré tout se ressemblent de plus en plus avec le
fil du temps, étrangement. Peut-être que cette récurrence du corps dans
mon travail est une sorte de recherche déterminée d'identité, pour
l'unique et le particulier.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.