Quel a été le point de départ de ce travail sur les immigrés et où vous a-t-il mené en Europe au fil des ans ?
J’ai développé mon intérêt pour ce sujet il y a 5 ans alors que je
couvrais un tremblement de terre au Pakistan. Dans les campements, j’ai
été fasciné par le besoin évident de domesticité, qui se manifestait dès
les premiers jours après cet événement terrible. De petits jardins
étaient aménagés autour des tentes et les gens décoraient les intérieurs
de façon à les rendre plus proches d'un « chez eux ». C’est une image
que les média ne montrent jamais quand ils traitent de tels désastres.
De retour en Hollande, je suis tombé sur un article qui parlait d’un
campement illégal de Pakistanais, Somaliens et Afghans à Calais en
France. Les habitants de ce camp avaient souvent parcouru des milliers
de kilomètres avant de parvenir à Calais, le dernier rempart entre eux
et la terre de leurs rêves, la Grande-Bretagne.
Une fois sur place, ces migrants construisent des abris de fortune pour
se protéger pendant qu’ils attendent leur chance de faire la traversée
finale.
Il est vite devenu très clair que cette expression de la nécessité
première de vivre deviendrait le leitmotiv du projet documentaire que je
commençais alors, fin 2005. Pour ce projet, je suis allé de nombreuses
fois à Calais, dans le Sud de l’Espagne, à Dunkerque, Malte, Patras et
en Italie, à la recherche de ces abris. Ils sont devenus pour moi un
symbole de la complexité de ce problème de l’immigration illégale, un
problème dans lequel la question de l’individu est facilement négligée.
Comment avez-vous choisi votre angle de vue pour portraiturer la situation ?
En photographiant les abris de manière neutre, sans inclure leurs
habitants dans le cadre, je donne au regardeur une expérience différente
que ce qu’il est habitué à voir de ce sujet. La composition de l’image
permet une reconnaissance immédiate du sujet (on pense aux cabanes
d’enfants) et permet dans le même temps de pénétrer plus en profondeur
les questions de bien-être et d’inconfort des habitants de ces
structures. C’est une diversion, ce que je veux portraiturer là
indirectement, c'est le « visage » des hommes derrière ces abris, avec
tous leurs espoirs et désirs d’un futur meilleur.
Quelle est l’histoire derrière ces deux images présentées ici, toutes deux prises à Calais ?
En 2008, un certain nombre de photos de la série des abris ont été
exposées au festival de photographie de Breda. Les images étaient
imprimées sur de gigantesques bâches de 6 mètres par 9. Elles étaient si
grandes qu’elles entretenaient une sorte de relation de confrontation
avec l’architecture contemporaine de la place où elles étaient exposées.
Après l’exposition, j’ai transporté les bâches jusqu’à Calais et les ai
données aux immigrés. Ils les ont recyclés et construits avec elles de
solides structures imperméables. Avant de donner les bâches, j’ai
disposé l’une d’entre elles à l’endroit exacte où j’avais pris deux ans
plus tôt l’image reproduite sur la bâche.
Cet abri pris en photo en 2006 existait-il toujours quand vous y êtes retourné en 2009 ?
Non, il a été détruit par la police un mois après que j'ai pris l'image
en 2006. En fait, dans cette partie de la forêt ou de la Jungle comme
elle est appelée, aucun abri n'est réapparu. Il y avait eu des plaintes
des habitants de maisons voisines. La Jungle s'est donc déplacée de 200
mètres, vers le Nord.
En 2006 donc, vous photographiez cet abri. En 2009, l'abri disparu, vous photographiez son absence. Peut-on lire cette seconde image comme une métaphore du médium photographique : l'image comme seule preuve de ce qui fût une fois que toute trace a été évacuée par le temps (et les autorités) ?
Oui, clairement, je pense que cette image est à la fois un manifeste sur
le médium et sur la situation des immigrés illégaux. La photographie
est une preuve du problème existant, mais quelques minutes après sa
prise, la situation peut être différente. C'est là toute la force et
l'ambiguïté de la photographie. Elle vous rappelle aussi parfois des
choses que vous préféreriez oublier. Dans la forêt, vous pouvez encore
voir des traces de ces installations faites il y a quelques années, mais
vous ne pourrez les déceler que si vous savez ce qui s'y est passé.
J'ai replacé cette image, là où je l'avais prise, en souvenir de ces
hommes que la forêt a abrités.
Édition limitée, numérotée et signée par l’artiste.